Article rédigé pour la revue des ingénieurs des Mines pour leur numéro "Spécial Tourisme" à paraître dans quelques semaines. NB : c'est une version bêta, pas le texte définitif
Telligo et ses colonies de vacances à thèmes
Introduction
Ingénieur de formation (X, Mines de Paris), j’ai commencé ma carrière de manière très classique comme jeune haut fonctionnaire : j’étais, à 26 ans, responsable de la division Nord-Pas-de-Calais de l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
Près de 15 ans plus tard, mon métier est d’organiser des colonies de vacances ! Curieux parcours ? N’est-on pas plutôt animateur à 18 ans… avant de passer à des choses plus « sérieuses » ensuite ?
Pourtant, les colonies de vacances, c’est secteur d’activité à part entière, qui pèse près d’un milliard d’euro, vit une profonde mutation, et sur lequel il est possible – comme dans bien des métiers « traditionnels » – d’apporter de vraies innovations, sources de croissance.
Destination Découverte, le groupe que j’ai fondé et dirige, organise les vacances de 30 000 enfants tous les ans, et réalise un CA consolidé d’environ 30M€. Telligo, notre filiale principale, a développé une offre originale et novatrice, sur laquelle elle a assis son développement depuis 10 ans, pour devenir – à la petite échelle de notre secteur – un acteur qui compte sur le marché.
Les colonies de vacances en France
Tous les ans, plus d’un million d’enfants partent en accueil collectif de mineurs (appellation réglementaire des colonies de vacances). Parmi les 8-16 ans, c’est plus d’un enfant sur dix qui part, pour une durée moyenne de 12 jours, en colonie de vacances en France (900 000 enfants), en séjour de découverte culturelle à l’étranger (40 000 jeunes), ou en séjour linguistique (120 000 jeunes). Après une très longue baisse depuis les années 60, les chiffres sont globalement stables depuis 10 ans.
Notre secteur d’activité pèse environ un milliard d’euro de CA (à comparer par exemple aux 30 milliards dépensés tous les ans par les Français pour leurs vacances à l’étranger). Les organisateurs de colonies de vacances sont soumis au Code du Tourisme et, juridiquement, je suis agent de voyage. Destination Découverte adhère au CETO, l’association des Tour Opérateurs français. Pour autant, si nous sommes dans le secteur du tourisme, c’est bien sur un segment très particulier, une véritable niche, avec ses caractéristiques propres :
- Le segment est hyper éclaté : en 2004 (dernière année pour laquelle le Ministère de la Jeunesse a publié ses statistiques !), on comptait près de 8 000 organisateurs pour 32 000 séjours. La concentration du secteur a commencé et la crise économique est manifestement en train de l’accélérer… mais on part de loin !
- Il est encore très largement associatif, avec la cohabitation de véritables associations portant un projet et des valeurs fortes (de nombreuses petites associations de bénévoles, les différentes fédérations de scoutisme, …), d’autres associations dont les produits et les méthodes commerciales les apparentent tout à fait à des entreprises (à commencer par l’UCPA dont la branche dédiée aux mineurs non accompagnés est devenue en quelques années l’un des très bons acteurs du secteur), et de PME qui assument leur positionnement commercial.
Plus encore que la structure de notre segment, c’est notre cœur de métier qui nous éloigne du marché général du tourisme : contrairement à mes confrères du secteur adultes, je ne vends pas d’abord du transport et de l’hôtellerie. Dans mon activité, ces services sont accessoires à prestation beaucoup plus importante : encadrer de votre enfant.
Mon cœur de métier, c’est de recruter, de former, et de suivre 400 directeurs et 3500 animateurs qui vont prendre en charge 30 000 enfants tous les ans :
- Pour les plus jeunes, gérer la vie quotidienne et les rythmes de vie, organiser la toilette et le brossage des dents, mais surtout accompagner cette grande expérience d’être loin de sa famille pour la première fois ;
- Pour les 8-12 ans, mettre en place des activités ludiques et intelligentes, organiser un grand jeu, animer des super veillées, tout en posant un cadre sécurisant ;
- Avec les ados, trouver le bon positionnement, savoir impulser et motiver, donner les moyens d’aller au bout de leurs idées et de leurs projets, sans être trop loin tout de même derrière.
Le législateur a parfaitement intégré les spécificités de notre métier en créant une réglementation particulière aux accueils collectifs de mineurs, totalement distincte du Code du Tourisme, et qui s’applique en plus de ce dernier. Sont notamment prévus un taux d’encadrement minimum, une qualification du directeur et des animateurs du séjour, des brevets et diplômes d’Etat en complément pour les activités sportives à risque, les modalités du suivi sanitaire des jeunes, une habilitation des lieux d’accueil, etc. Il faut noter qu’il y a significativement moins d’accidents en accueil collectif de mineur que dans le cadre familial, ce qui est sans doute à mettre au crédit du corpus réglementaire existant.
Les acteurs du secteur adulte ont eux aussi bien saisi la spécificité de notre activité. Certes, de nombreux villages vacances proposent un club enfants. C’est une prestation bien pratique pour les parents, le plus souvent de grande qualité… mais en fait éloignée de mon métier car vous récupérez vos enfants tous les soirs, voire midi et soir. A ma connaissance, aucun acteur du tourisme adulte n’est présent, directement avec sa marque, ou même indirectement par une prise de participation, sur notre segment.
Les colonies de vacances à l’étranger
Quelques 40 000 jeunes Français partent tous les ans à l’étranger pour découvrir le monde (soit un total de 160 000 jeunes en comptant ceux qui partent en séjours linguistiques).
Intéressons-nous maintenant aux jeunes Européens[1] qui partent en colonie de vacances, dans leur pays ou ailleurs. Telligo a fait des études de marché en Europe puis un test commercial dans 4 pays : Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Espagne. Nous avons été au-delà du test avec une réelle (petite) présence pendant 3 ans sur le marché allemand.
Nous avons finalement jeté l’éponge : le marché européen hors de France est très réduit (un million de jeunes Français partent en colonie de vacances tous les ans, soit environ 3 à 4 fois le total de notre estimation pour l’ensemble des 4 pays testés). Les tests commerciaux ont été très décevants, à l’exception de l’Allemagne qui semblait prometteuse. Dans ce dernier pays, la fidélisation a été trop faible pour soutenir la croissance comme si nos clients – pourtant très satisfaits – se contentaient d’un séjour une seule fois.
Ma conviction est que la France et les USA réunissent deux critères-clés pour le développement dans le temps de notre secteur d’activité : une natalité assez forte et un besoin de garde des enfants pendant les vacances d’été (9 semaines de vacances pour les enfants en France contre 6 en Allemagne ; des vacances minimalistes pour les parents aux USA).
Telligo et l’émergence de colonies à thème
Parmi les milliers d’organisateurs français de colonies de vacances, j’ai fondé et dirige la société Telligo qui accueille tous les ans 15 000 enfants, principalement sur des colonies de vacances à thème.
Tout commence fin 1993 : jeunes étudiants des grandes écoles, nous voulons faire partager à des plus jeunes notre passion pour les sciences. Le thème du premier séjour est l’astrophysique (le big bang, la vie et la mort des étoiles, la relativité…) et Telligo s’appelle alors ‘Altaïr’ avec une double référence à l’une des étoiles les plus brillantes du ciel d’été, et à la dernière mission spatiale ayant à son bord un Français.
L’enthousiasme de nos 20 ans n’a d’égal que notre inexpérience : nous n’imaginons pas un instant devoir annuler tous les premiers séjours faute de participants, ni devoir surmonter tant d’obstacles administratifs. Rétrospectivement, comment penser que Telligo sera toujours là vingt ans plus tard et accueillera alors des milliers de jeunes ?
Cette belle histoire, nous la devons d’abord à un clin d’œil du destin : lors de notre premier séjour (qui réunissait 9 jeunes + les 2 fondateurs), nous n’avions pas le budget pour embaucher les animateurs BAFA initialement prévus. Nous avons donc cumulé les fonctions de « spécialistes » scientifiques et d’animateurs de la vie quotidienne. Sans le savoir, nous inventions l’alchimie sur laquelle repose, aujourd’hui encore, le cœur de notre valeur ajoutée :
- Une thématique forte qui attire des enfants enthousiastes
- Des animateurs eux-mêmes spécialistes, qui veulent transmettre leurs propres passions
- … et donc une vraie « rencontre » entre jeunes et adultes pendant le séjour.
Les années suivantes, en gardant cette même alchimie, nous nous sommes développés et avons diversifié les domaines abordés, de l’astrophysique aux sciences et techniques en général, puis des sciences et techniques aux diverses passions des enfants : séjours sur les animaux, la nature, l’histoire, séjours artistiques…
Fin 2000, je quitte l’Autorité de Sûreté Nucléaire pour devenir chef d’entreprise, et Altaïr devient une PME. La communication devient progressivement plus professionnelle, l’équipe permanente se structure, nous investissons beaucoup (à notre échelle) pour nous faire connaître : le CA va alors commencer une croissance rapide, passant de 250k€ en 2000 à 3M€ en 2003.
Le développement va se poursuivre à un rythme rapide puisqu’entre 2003 et 2007, le CA sera multiplié par cinq pour atteindre 15M€[2]. Cette deuxième phase de développement, nous la devons en grande partie à une véritable innovation, très simple sur le papier, qui a transformé Telligo, puis contribué, dans une certaine mesure, au renouveau de notre secteur d’activité.
En 2003, tous nos séjours sont multi-sciences et proposent, chacun selon le lieu, un cocktail d’ateliers scientifiques. Ainsi par exemple, un séjour 11-14 ans offre le choix suivant : Micro-fusées / La communication animale / Jeux mathématiques / Les volcans (chaque enfant choisit 2 ateliers). Les séjours comprennent le plus souvent des visites de sites / musées à caractère scientifique.
L’atelier ‘Microfusées’ attire plutôt des garçons, passionnés de physique et de technologie. L’atelier ‘La communication animale’ séduit plutôt des filles, passionnées d’animaux et de biologie. Etc.
En 2006 au contraire, nous avons des séjours complètement thématisés. Nous avons par exemple un premier séjour « Décollage immédiat » (qui reprend Micro-fusées, d’autres ateliers de physique et de technologie, et les complètent par une visite à la Cité de l’Espace de Toulouse), un second séjour « Planète Sauvage » (qui reprend « La communication animale », d’autres ateliers sur les animaux, et une visite au parc animalier de Planète Sauvage), etc.
Cette évolution consiste pour Telligo à renforcer la logique[3] de ses séjours, qui s’articulaient déjà autour d’ateliers thématiques. Le thème fort, ce n’est plus ‘les sciences en général’, mais ‘telle discipline scientifique en particulier’.
Conséquence n°1 : en segmentant mieux, nous touchons des enfants et des adultes plus motivés encore et la rencontre adulte / enfant autour du thème n’en est que plus forte.
Mais surtout, conséquence n°2, le modèle fonctionne en-dehors de la niche bien spécifique des sciences, et de proche en proche nous arrivons à organiser des séjours thématiques pour les différentes passions des enfants.
Aujourd’hui, notre best-seller est « Mon ami Dauphin » : les enfants sont encadrés par des animateurs ayant une formation en biologie, voire par de véritables spécialistes de la vie marine, avec un véritable échange entre adultes et enfants sur les dauphins et le monde marin. On est loin des sciences dures, mais on est toujours sur un thème fort. Vous surprendrais-je en disant que les enfants de 8-12 ans qui rêvent de dauphins sont plus nombreux que ceux qui veulent résoudre des équations mathématiques ?
Mais le plus frappant, c’est de constater, une petite dizaine d’années plus tard, que Telligo a été assez massivement imité par des confrères dont les séjours sont fondamentalement multi-activités, et ne reposent pas sur un échange adulte-enfant autour d’un thème en particulier. Quand, enfant, je partais en colonie de vacances, c’était « 2 semaines en Haute Savoie ». Le séjour, pour autant que je m’en souvienne, comprenait quelques activités sportives (sports collectifs, une sortie piscine, une initiation tennis), des randonnées, la visite d’une fromagerie, etc. De tels séjours, sans angle véritable, sont aujourd’hui en voie de disparition totale. Les organisateurs de colonies de vacances proposent aujourd’hui peu ou prou les mêmes séjours qu’il y a 30 ans mais leur donnent un titre et un angle : cette thématisation assez pauvre est devenue une précieuse boussole marketing pour parents en quête de la bonne colo dans un marché hyper atomisé à l’offre pléthorique.
Conclusion
Entre 2008 et 2011, Telligo a poursuivi sa croissance organique mais a surtout été très actif en croissance externe au travers des différentes acquisitions réalisées par sa maison mère Destination Découverte. Ces acquisitions ont mobilisé beaucoup d’énergie mais nous ont permis de diversifier encore notre offre de séjours, notamment pour ce qui est des séjours culturels à l’étranger et des stages sportifs.
Depuis 18 mois, nous revenons d’une certaine manière aux sources puisque nous concentrons à nouveau nos efforts sur les séjours à thèmes, avec un énorme travail sur la qualité des séjours, le recrutement d’animateurs encore plus en affinité avec le thème, et la pertinence des contenus pédagogiques. Malgré une conjecture difficile, 2012 a été un bon cru, et nous sommes très confiants pour 2013.
[1] N’ayant pas fait de recherches approfondies hors d’Europe, je ne peux y être très précis. Il faut toutefois citer le cas des USA où 8 millions de jeunes Américains partiraient en colonie de vacances (« Summer Camp ») tous les ans.
[2] Accessoirement, la société va devenir rentable. Fin 2003, les pertes cumulées des premières années avaient conduit à une crise de trésorerie qui aurait pu sonner notre mort prématurée.
[3] Préalablement, cela nécessité d’avoir parfaitement compris et formalisé quelle est cette logique. Dit différemment, il nous a fallu comprendre que l’alchimie qui se crée autour du tryptique « thème fort – enfant enthousiaste – animateur passionné » était le facteur clé de succès de Telligo sur son marché. Il faut bien reconnaître que nous n’avons pas eu une approche si théorique et que c’est au fil des années et de la diversification que nous l’avons formalisé.